mercredi 20 avril 2016

Bénin : quelles réformes institutionnelles pour rompre avec la démocratie corrompue ? (III): Huit objectifs prioritaires pour une révision constitutionnelle substantielle

Non seulement le Bénin a besoin de rupture avec les pratiques politiques et administratives qui ont dévoyé son expérience démocratique depuis 25 ans, mais il a également besoin de réformes institutionnelles plus audacieuses que celles proposées dans le programme du nouveau président. Les mesures envisagées pour réduire la toute puissance de la fonction présidentielle doivent s’accompagner de la création de nouvelles institutions indépendantes dûment consacrées par la Constitution et dotées chacune d’un mandat précis contribuant au renforcement de la démocratie, des libertés, de l’Etat de droit et de l’Etat tout court dans sa posture d’incarnation de l’intérêt général.
Le Bénin malade de sa gouvernance politique ne doit pas se limiter à de petits ajustements institutionnels, à coups de décrets présidentiels marqués du sceau appréciable d’une authentique volonté de rupture.
Aux grands maux les grands remèdes. Le Bénin malade de sa gouvernance politique ne doit pas se limiter à de petits ajustements institutionnels, à coups de décrets présidentiels marqués du sceau appréciable d’une authentique volonté de rupture. Si le président Talon veut surprendre tous ceux qui s’étranglent encore d’inquiétudes en examinant les zones d’ombre de sa trajectoire personnelle, et dessiner en cinq ans un nouvel horizon prometteur pour le Bénin, il doit ouvrir dès maintenant un processus de consultation nationale décentralisé devant aboutir à l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Aller plus loin dans l’audace des réformes consisterait à mettre sur la table dès aujourd’hui les propositions suivantes, les affiner et les soumettre à un processus de consultation publique nationale :
  1. Mettre en place un mécanisme institutionnel visant explicitement à réguler les activités des partis et des acteurs politiques et à décourager les pratiques qui corrompent l’esprit de la démocratie :
  • Le mécanisme doit reposer sur des incitations aux bonnes pratiques– transparence des sources de financement des partis, représentativité nationale, démocratie interne, respect intégral des dispositions du code électoral, promotion de l’égalité entre hommes et femmes, production de programmes de gouvernement alternatifs et formation des adhérents au civisme -, et sur des sanctions graduelles des partis et des acteurs politiques qui se caractérisent par de mauvais comportements.
  • Il faudrait se servir du financement public des partis politiques comme d’un outil pour récompenser et encourager les partis qui adoptent les pratiques démocratiques voulues et pour sanctionner ceux qui ne le font pas.
  • L’allocation de ressources publiques accordée aux partis ne devrait donc pas dépendre seulement des résultats électoraux obtenus mais aussi d’une évaluation annuelle de leurs contributions à la consolidation de la démocratie sur la base de critères précis validés par tous à l’avance.
  • Allouer des ressources aux partis en fonction de leurs performances électorales ne véhicule aucune incitation à de bonnes pratiques. Cela revient dans la réalité à récompenser les partis et les acteurs pour lesquels tous les moyens sont bons pour gagner des élections.
  • Les pratiques les plus graves de corruption politique et de manipulation ethnique, religieuse ou régionaliste à des fins politiques pourraient déboucher sur une suspension des activités des partis concernés pour une durée limitée. Une suspension définitive pourrait être prononcée par la Cour suprême.
  • L’objectif d’un tel mécanisme d’incitations ne serait pas seulement d’encourager les meilleures pratiques politiques mais aussi de régénérer le système partisan béninois par l’élimination naturelle des coquilles vides qui se font passer pour des partis et par celle des coalitions opportunistes d’entrepreneurs politiques dépourvus de la moindre idéologie.
  • On imagine aisément qu’une régulation forte des activités politiques, pour être acceptable par la classe politique, ne pourrait être confiée qu’à une institution indépendante des pouvoirs exécutif et législatif.
  • Deux options au moins sont envisageables : créer une commission indépendante de régulation des activités politiques dédiée exclusivement à cette tâche, ou confier ce mandat à une nouvelle commission électorale indépendante aux prérogatives élargies, en remplacement de la Commission électorale nationale autonome (CENA) actuelle.
  • Il faudrait dans ce cas s’inspirer du modèle de commissions électorales existant dans les pays anglophones comme le Nigeria, le Ghana, ou plus loin le Botswana, où ces institutions consacrées par les lois fondamentales jouent un rôle crucial dans la régulation de la compétition politique au-delà de l’organisation des élections.
  1. Renforcer le pouvoir exécutif dans sa dimension collégiale en élevant le niveau d’exigence en matière d’intégrité et de compétence des membres du gouvernement :
  • Cela devrait passer par une obligation de consultation préalable par le président d’une nouvelle institution de conseil et par un système d’audiences publiques de confirmation des membres proposés par le président pour les fonctions ministérielles et pour quelques hautes fonctions de l’administration publique dûment déterminées dans la Constitution.
  • Avant de former son gouvernement, le président devra consulter obligatoirement une institution jouant un rôle de « conseil de sages », par exemple sur le modèle du Conseil d’Etat (Council of State) du Ghana, ou du Conseil de la République du Cap-Vert.
  • La composition de cette institution serait aussi inspirée de l’exemple ghanéen où elle compte des personnalités ayant occupé dans le passé de hautes fonctions publiques (anciens présidents de la Cour suprême, anciens chef d’état-major des armées, anciens directeurs de la police nationale…), des personnalités représentant chacune des régions du pays et des personnalités nommées par le président.
  • Au Ghana, toutes les nominations par le président des dirigeants d’institutions importantes comme l’Auditeur général, la Commission du service public, la Commission électorale indépendante et même les conseils d’administration des entreprises publiques doivent se faire « en consultation » avec le Conseil d’Etat. Les nominations des ministres se font quant à elles après approbation par le Parlement. Le président ghanéen, pourtant élu au suffrage universel, ne peut pas nommer n’importe qui comme ministre ou offrir à un ou une amie sans aucune compétence présumée une des plus hautes fonctions de la nation.
  • Au Bénin, la déliquescence des partis politiques est un constat largement partagé, et la corruption de la démocratie a entaché autant le pouvoir exécutif que le supposé contre-pouvoir de l’Assemblée nationale, où certains députés sont soupçonnés de monnayer leurs votes. Les réformes ne permettront pas de changer ces pratiques en un tour de main. Dans ces conditions, il serait judicieux de ne pas faire de la seule Assemblée nationale, ou de son bureau, l’institution de confirmation des ministres proposés à la nomination par le président.
  • On peut imaginer une consultation obligatoire du Conseil d’Etat (ou de la République) et une audience de confirmation formelle par l’Assemblée nationale dont l’intérêt principal serait la séance publique de questions à laquelle seraient soumis tous les ministres proposés. L’objectif d’un tel mécanisme ne serait pas de disqualifier les personnes choisies par le président, mais de forcer ce dernier à éviter dès le départ des choix de personnes aux aptitudes et/ou à l’intégrité douteuses pour former son gouvernement.
  • Rappelons qu’aux Etats-Unis, le puissant président doit faire confirmer par le Sénat le choix de toutes les personnalités les plus importantes du gouvernement. Je ne vois pas très bien pourquoi il serait scandaleux d’imposer un tel filtre des nominations au président de la République du Bénin. Cela ferait comprendre clairement aussi bien aux citoyens qu’au président que l’élection ne fait pas de ce dernier un monarque souverain et irresponsable.
  1. Donner plus de chances de disposer d’une administration publique performante et dédiée à l’intérêt général :
  • Cela devrait passer par une clarification dans la Constitution des fonctions qui relèvent directement du pouvoir exécutif du moment et de toutes les fonctions dans les ministères et agences publiques qui doivent être exclusivement soumises aux règles régissant le service public.
  • Cela passerait aussi par la création d’une Commission du service public, chargée de veiller au respect des principes fondamentaux du service public, de définir les règles gouvernant les recrutements, les rémunérations, les promotions et les sanctions dans l’administration.
  • Cette commission rendrait compte chaque année de la performance du service public, des efforts entrepris pour l’améliorer, des faiblesses les plus importantes aussi bien en matière de performance globale que de contribution à la réduction des inégalités régionales dans l’accès aux services publics.
  • Il n’y aurait ici aussi rien à inventer : les Public Service Commission existent dans plusieurs pays africains anglophones, le Ghana étant encore l’exemple le plus facile à examiner comme modèle dont peut s’inspirer le Bénin.
  • L’avantage de se doter d’une Commission du service public de taille réduite et fixée par la Constitution plutôt que des ministères en charge de la Fonction publique et de la réforme administrative, qui changent tous les ans de titulaires au gré des remaniements, serait de clarifier les responsabilités, de stabiliser les règles et de les affranchir des manipulations politiques partisanes et circonstancielles.
  1. Renforcer l’apprentissage de la culture démocratique et de la participation citoyenne à la délibération sur les politiques publiques :
  • Après 25 ans de démocratisation pendant lesquels l’apprentissage laborieux de l’organisation des élections par les institutions et celui de la politique politicienne par les acteurs attirés par la conquête du pouvoir ont accaparé toutes les énergies, il est peut-être temps de mettre l’accent sur le renforcement de la demande des citoyens d’une meilleure offre politique.
  • Il s’agirait de stimuler par un effort délibéré et budgétisé la volonté de participation des citoyens à la vie politique et plus largement leur intérêt pour le contrôle de la gestion des affaires publiques.
  • Une telle ambition nécessiterait la création d’une Haute Autorité en charge de la consolidation de la démocratie, institution indépendante et constitutionnelle qui aurait pour mandat de conduire des campagnes permanentes d’éducation civique de la population et d’organiser des débats annuels décentralisés et citoyens sur les grands domaines de l’action publique (éducation, santé, sécurité, politique économique, protection de l’environnement, politique étrangère).
  • Cette proposition ne serait pas un luxe pour une jeune démocratie africaine mais une innovation institutionnelle majeure qui marquerait une volonté de faire évoluer la démocratie représentative vers un démocratie participative, substantielle et intelligente faisant une place à la recherche de consensus sur les enjeux les plus cruciaux pour l’avenir du pays.
  1. Mettre en place un cadre cohérent global de lutte contre la mauvaise gestion des ressources publiques et contre la corruption :
  • Préciser dans la Constitution les principes généraux de la détermination des salaires, des primes et de tous les avantages accordés aux fonctionnaires et à toutes les personnes qui exercent des fonctions publiques, ainsi que les institutions en charge de cette détermination, à l’instar de la Commission de service public et éventuellement de comités parlementaires et/ou du Conseil d’Etat ou de la République.
  • Renforcer toutes les structures de contrôle de l’utilisation des ressources publiques, notamment l’Auditeur général et la Cour des comptes (érigée en institution judiciaire indépendante de la Cour suprême), qui doivent faire l’objet de dispositions précises dans la Constitution en matière de mode de composition, de garanties d’indépendance et de moyens financiers.
  • Constitutionnaliser l’Autorité nationale de lutte contre la corruption et en faire une institution dont les ressources financières sont sécurisées, et qui est dotée d’un mandat élargi intégrant un rôle d’enquête sur tous les faits présumés de corruption, d’évaluation régulière de la vulnérabilité à la corruption des ministères et de toutes les agences publiques et de prévention de la corruption par des programmes de sensibilisation destinés à l’ensemble de la population.
  • Supprimer l’actuelle Haute cour de justice qui a prouvé qu’elle offrait surtout aux plus hautes personnalités politiques soupçonnées de corruption une protection contre des poursuites judiciaires, et ne conserver comme dérogation aux lois qui s’appliquent à tous les citoyens que des dispositions permettant de protéger les membres du gouvernement et le président de poursuites abusives pendant l’exercice de leurs fonctions.
  1. Mettre en place des cadres institutionnels formels inscrits dans la Constitution pour assurer que les décisions touchant les questions fondamentales pour le pays soient toujours prises après consultation des personnes occupant les fonctions pertinentes au sein de l’Etat, et pour réduire l’influence des considérations purement politiques sur ces décisions :
  • Formaliser un Conseil national de sécurité en s’inspirant des modèles existants et fixer la composition ainsi que les domaines de compétence de ce Conseil dans la Constitution.
  • Créer une Commission nationale de planification du développement sur le modèle du National Development Planning Commission du Ghana, qui jouerait un rôle effectif de conseil du gouvernement sur les orientations de politique économique à moyen et long terme, les options en matière de développement équilibré de tous les départements du pays, l’anticipation des menaces à la continuité du progrès économique et social du pays.
  • Créer un Conseil national de l’enseignement supérieur, dont la composition serait déterminée par la Constitution, avec pour mission de conseiller le gouvernement sur les grandes orientations en matière d’enseignement supérieur et de la recherche, de définir des objectifs de moyen et de long terme dans ce domaine et d’assurer ainsi une continuité de l’action de l’Etat au-delà des changements de gouvernement.
  1. Inscrire dans la Constitution non seulement les principes généraux de la décentralisation mais aussi les mécanismes garantissant leur mise en œuvre effective en intégrant les dispositions principales des lois et décrets existants sur la décentralisation :
  • Préciser les obligations de l’Etat central à l’égard des collectivités territoriales décentralisées
  • Définir le cadre formel des responsabilités et des relations entre les collectivités décentralisées et les représentants de l’Etat central dans les départements
  • Inscrire dans la loi fondamentale le principe de l’affectation obligatoire d’un pourcentage minimal des ressources de l’Etat aux collectivités décentralisées.
  • Formaliser le mode de représentation des collectivités territoriales dans une institution nationale, le Conseil d’Etat (ou de la République). Chacun des départements pourrait ainsi désigner un représentant au sein de cette institution de conseil et de modération du pouvoir présidentiel.
  1. Renforcer la capacité de l’Assemblée nationale à jouer pleinement les différents rôles qui lui sont attribués par la Constitution :
  • Cela passe nécessairement par la réforme du système partisan et donc par les mesures proposées plus haut visant à réguler et à orienter l’action des partis politiques par un mécanisme reposant sur des incitations et des sanctions.
  • Mais il faudra beaucoup de temps pour que le Bénin dispose de partis structurés susceptibles d’animer positivement la vie politique et de produire en leur sein de futurs gouvernants préparés à l’exercice des plus hautes fonctions.
  • Une piste immédiate qui permettrait de redynamiser le Parlement, d’améliorer son fonctionnement et d’encourager les partis à préparer la future génération de femmes et d’hommes politiques serait la mise en place d’un programme de formation, sur financement public, de jeunes assistants parlementaires qui pourraient être ensuite recrutés par les députés.
  • On peut imaginer plusieurs formules dont celle d’une dotation financière accordée aux partis représentés à l’Assemblée nationale dédiée exclusivement à la rémunération de jeunes assistants parlementaires, avec un dispositif de contrôle crédible.
  • Associé à un système de financement public modulé des partis politiques, un tel programme permettrait d’atteindre plusieurs objectifs à la fois, y compris celui de redorer le blason, terni par la corruption généralisée, de l’engagement en politique au service de l’intérêt général.
Les réformes proposées ici semblent conduire à une prolifération de nouvelles institutions, qui pourraient ne pas être plus efficaces que celles dont dispose déjà la république. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles institutions budgétivores, mais de fixer au contraire dans la Constitution des règles et des cadres formels aussi précis que possible pour que le fonctionnement de l’Etat ne dépende pas excessivement des qualités et des défauts du chef de l’Etat et de ceux d’une poignée de conseillers officiels et officieux qui ne répondent à personne d’autre que lui.
Le Bénin pourrait être le premier pays francophone à oser un véritable métissage constitutionnel. 
En clarifiant les responsabilités de chacune des institutions dans la loi fondamentale, en bouchant autant que possibles les trous de l’actuelle Constitution qui sont autant de non-dits susceptibles d’interprétations abusives au gré des intérêts particuliers des élites politiques, en palliant les graves insuffisances de la démocratie représentative qui concernent d’ailleurs toutes les démocraties dans le monde, le Bénin pourrait être le premier pays francophone à oser un véritable métissage constitutionnel.
Il ne me semble pas très logique de défendre des constitutions qui se limitent à l’énonciation de principes généraux et laissent un immense champ d’action aux pouvoirs exécutif et législatif dans le contexte de pays où les élites politiques, économiques, administratives et même religieuses et traditionnelles peuvent se confondre et accaparer tous les pouvoirs et toutes les ressources. La nécessité d’élaborer des textes constitutionnels détaillés, qui rompent avec la tradition politique et juridique française, inspiratrice des modèles constitutionnels de ses anciennes colonies, me semblent s’imposer aujourd’hui comme une évidence.
Article publié sur www.wathi.org, 20 avril 2016
http://www.wathi.org/laboratoire/tribune/benin-quelles-reformes-institutionnelles-pour-rompre-avec-la-democratie-corrompue-iii-huit-objectifs-prioritaires-pour-une-revision-constitutionnelle-substantielle/

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire